De nombreuses communautés africaines, à travers leurs croyances et leurs pratiques rituelles ont contribué à la préservation de la biodiversité, notamment la conservation de certains éléments de la nature. Même si cela tend à perdre de l’importance et à être menacé face à la modernité, leurs impacts pour l’environnement ne sont plus à démontrer. Cependant, comment ces croyances socioculturelles et pratiques peuvent-elles être utiles de nos jours pour influencer la législation sur l’environnement dans ces pays ?
Des éléments de la nature, ont été conservés à travers des pratiques socioculturelles qui se perpétuent encore de nos jours dans différents pays d’Afrique. Si les modes de gestion de la biodiversité́ varient d’une région à l’autre, en fonction des peuples et des groupes ethniques, ces pratiques ancestrales qui ont longtemps contribué à la préservation de l’environnement de ces différentes populations ne sont jusque-là pas reconnues officiellement ou encadré par un système légal dans les pays concernés.
Au centre-Ouest de la Côte-d’Ivoire, à Gbétitapéa, des recherches ont montré l’importance socioculturelle et économique des fragments forestiers pour les populations locales. En effet, une étude à démontrer l’importance que revêtent les singes des fragments forestiers pour la population de cette localité. Ces primates, dits sacrés ainsi que leurs habitats, sont protégés par les autochtones de Gbétitapéa. Ainsi, la forêt, devenue sacrée, et les singes constituent un exemple de préservation de la biodiversité, ont expliqué les auteurs de cette recherche. « Une meilleure connaissance des pratiques culturelles pourrait montrer l’importance (…) des sites sacrés afin de prévoir une gestion durable des écosystèmes forestiers ». Et cela passe par l’adoption de textes légaux.
Pour Hilaire Gomé Gnohité président de l’ONG ivoirienne la Croix Verte, il est vrai qu’il y a le culte, le mythe ou le mystère autour de ces forêts. Et « en considérant ces différents éléments on peut dire que ces forêts sacrées n’avaient plus besoin de protection particulière mais ce n’est pas vrai. » Cela s’explique pour trois raisons. La première raison est la pression démographique.
« Vous savez que la Cote d’Ivoire c’est 3,5 % d’augmentation de la population, c’est 35% d’immigration et les terres ne sont pas extensibles. Donc la population grossit et les terres restent les mêmes. Il y a donc une course effrénée vers les terres arables. C’est déjà le premier danger. Deuxièmement il y a l’école : aujourd’hui l’école fait que les enfants, les jeunes, les cadres ne croient plus tellement à toutes ces questions de mythe, de mystique et de sacré autour de ces forêts. Donc eux ils vont être préoccupés par les questions économiques donc ils vont balayer du revers de la main ce qui faisait la protection de ces forêts c’est à dire le mythe et le sacré. La troisième raison ce sont les religions », explique-t-il.
Pour lui, il y a l’Islam et le christianisme qui, aujourd’hui, sont en train de désacraliser tout cela. « Mais notre objectif c’est de démontrer aux gens qu’on peut être chrétien ou musulman et protéger les forêts sacrées. Parce que ce qu’on protège au-delà de tout, ce sont les richesses en biodiversité. ». Au regard du fait que, traditionnellement ces espaces et sites sacrés ne sont pas clôturés. Il faut donc trouver des mécanismes réglementaires ou juridiques de préservation et de conservation de ces lieux, a expliqué le président l’ONG Croix Verte.
Cependant, dans son document de Politique nationale de l’Environnement, publié en 2011, le gouvernement ivoirien intègre les préoccupations environnementales dans l’aspect de promotion touristique et culturel, sans plus de détails sur la législation qui devrait encadrer cela. Les stratégies qui sont envisagées sont : « L’institution de mesures de protection des ressources naturelles et des œuvres d’art contre les dégradations et le pillage ; l’aménagement et l’utilisation durable des sites touristiques et la promotion de l’écotourisme ; la protection et la valorisation du patrimoine naturel et culturel notamment les technologies traditionnelles, les monuments historiques et les sites naturels à vocation touristiques ». Aucune loi n’est jusque-là établie dans le sens de la préservation des sites dit sacrés.
En Afrique, les forêts, les bois, les sites et bosquets sacrés représentent une sphère importante de l’identité de nombreuses populations locales. Leur préservation serve comme un récit ou un témoignage des pratiques et des us du passé mais surtout des réponses à des croyances métaphysiques du présent. Au Fouta Djallon en Guinée, les forêts villageoises et les bosquets sont, depuis des temps reculés, objets d’une protection intégrale contre toute exploitation, assurée par les « sages » des villages, informe Marcel Sow dans « Pratiques culturelles et conservation de la biodiversité en Guinée ». Certaines espèces végétales bénéficient d’une protection particulière et sont même épargnées par les populations pendant les déboisements culturaux. Cet état de fait est la résultante de pensées, de croyances transmises de génération en génération et sur la formulation de versions mythiques pour empêcher la destruction de la biodiversité. Ces consignes sont religieusement respectées par l’ensemble des habitants du village.
L’existence d’aires sacrées, dédiées au rites, interdit d’accès aux profanes est une grande source de préservation de l’environnement et de la biodiversité. L’implantation de sanctuaires et les rites qui se déroulent dans les forêts et les plans d’eau ont permis la survie des ressources naturelles dans plusieurs localités en Afrique. Des botanistes ont révélé à la suite d’une étude effectuée sur les 37000 hectares que représentent l’ensemble des forêts sacrées en Côte d’Ivoire, que 75% de la biodiversité du pays s’y retrouvent. Ce qui signifie que la valeur n’est pas forcément en termes de superficie mais en termes de richesse en biodiversité. Il faut donc dire que les consignes et croyances socioculturelles épargnent encore une partie des ressources de ces sites naturels contre toute forme d’exploitation. Cependant, pour combien de temps encore, si aucune alternative juridique pour leur préservation n’est adoptée ?
Personnifier les entités naturelles pour sauver l’environnement et la biodiversité en Afrique
Au Burkina Faso, à Bobo-Dioulasso, le marigot Houet, un affluent de la rivière Kou, traverse l’intérieur de la ville du Nord au Sud. Il abrite des poissons silures qui sont considérés comme sacrés par les populations depuis des siècles, selon les ressortissants de la localité. Malgré l’urbanisation de la ville, ce marigot a contribué à la préservation d’un poumon vert au cœur de Bobo-Dioulasso et à la survie d’un écosystème autour de ces poissons. Malheureusement, le marigot Houet et ses biotopes sont de plus en plus menacés, du fait des activités de l’Homme, car ce site n’ayant pas encore acquis un statut comme celui du Whanganui, en Nouvelle-Zélande.
En effet, le choix du Parlement Néo-zélandais, d’accorder un statut de personnalité juridique au fleuve maori, Whanganui, est un salut pour sa préservation et devrait inspirer un grand nombre de pays africains. Même s’il faut encore donner de la chance à certaines pratiques traditionnelles, en leur octroyant plus de pouvoir pour continuer dans la préservation de la biodiversité, il est capital que de nombreux sites naturels en Afrique puissent également bénéficier de législations qui les protègent intégralement, à l’image de celles obtenues par le peuple Maori en 2017.
L’étude sur l’importance socioculturelle des singes de Gbétitapéa en Côte-d’Ivoire, a très bien révélé que la sacralisation de l’environnement, semblerait authentique, car celle-ci, par son essence accorde une grande importance à sa préservation. C’est pourquoi, « il serait nécessaire de diriger les recherches sur l’origine, les buts et surtout la place des lieux sacrés des sociétés traditionnelles » afin de trouver des mécanismes pour les intégrer dans les droits de la nature des états modernes d’Afrique. C’est-à-dire ramener le respect de la nature au centre de la vie de l’Homme.
C’est d’ailleurs dans ce sens qu’écrit Pierre Brunet, pour qui « l’idée de reconnaître des droits aux entités naturelles ne date pas d’hier ». Il précise qu’au-delà des divergences qui existent chez les partisans des « droits de la nature », tous sont d’accord sur l’objectif de rompre avec une conception anthropocentrique des rapports entre l’homme et la nature qui fait de cette dernière juste un objet ou encore une ressource. « Ils entendent conférer à la nature le statut de sujet et reconnaitre sa valeur intrinsèque ». Il faut donc étendre « simplement les frontières de la communauté de manière à y inclure le sol, l'eau, les plantes et les animaux ou, collectivement, la terre », ajoute pour sa part Aldo Leopold.
Dans de nombreuses communautés traditionnelles africaines, les différentes croyances et pratiques traditionnelles, montrent que toutes ces conceptions de la relation de l’homme à la nature ne sont pas nouvelles. Les populations disposent dans leur organisation sociale, des principes de développement durable dans leurs rapports avec la nature.
Préserver les entités naturelles passe donc par l’accompagnement de ces traditions, coutumes et croyances, tout en intégrant les acquis de l’éthique environnementale traditionnelle dans le cadre législatif et réglementaire des états d’Afrique.
Belélé Jérôme William Bationo
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