Changement climatique et instabilité politique en Afrique de l’Ouest : comprendre les liens entre environnement, médias et gouvernance locale
- Africa Green News
- il y a 18 heures
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Par Belélé Jérôme William Bationo Doctorant en Changement climatique et Durabilité | Expert en Médias et Développement
En Afrique de l’Ouest et dans la région sahélienne en particulier, le changement climatique n’est plus simplement un défi environnemental : il est devenu un facteur majeur d’instabilité politique. Les perturbations climatiques viennent exacerber des tensions sociales et politiques déjà présentes, notamment dans des zones fragiles comme le Burkina Faso, le Mali, la Guinée, la Guinée-Bissau ou le Niger. En tant qu’analyste de terrain, impliqué dans des projets à l’intersection des médias, de l’environnement et de la gouvernance, nous avons pu observer comment ces dynamiques s’entrelacent et s’alimentent. Cet article propose une lecture croisée de ces interactions, en mettant en lumière le rôle central des médias dans la perception des risques et des légitimités politiques.
Le triangle climat – conflit – gouvernance
La relation entre stress environnemental et conflits est aujourd’hui bien documentée. Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) souligne que les effets du réchauffement climatique sont susceptibles d’intensifier les conflits pour les ressources naturelles en Afrique. Le Sahel connaît des sécheresses prolongées, des précipitations imprévisibles, et une dégradation rapide des terres, ce qui provoque des déplacements, des tensions intercommunautaires et une perte de confiance envers les structures étatiques.
Au Mali, les conflits entre éleveurs peuls et agriculteurs dogons sont souvent perçus à travers des prismes ethniques ou religieux, mais ils ont des racines écologiques profondes. Ces affrontements ont pour origine l’accès aux ressources : les parcours de transhumance sont perturbés par les sécheresses, entraînant des conflits territoriaux. Le traitement médiatique, parfois sensationnaliste ou biaisé, peut attiser les divisions plutôt que les apaiser. La perte de confiance dans la gouvernance étatique face à la difficulté des États à fournir des réponses efficaces aux crises environnementales (répartition équitable de l’eau, soutien à l’agriculture résiliente) entraîne une délégitimation des institutions. Cela ouvre un vide que peuvent exploiter des groupes armés ou des formes alternatives de gouvernance, parfois fondées sur des structures communautaires ou religieuses.
Les médias comme catalyseurs ou stabilisateurs
Les médias peuvent jouer un rôle stabilisateur ou, au contraire, alimenter les conflits selon la manière dont l’information est produite et diffusée. Dans des zones faiblement étatisées, la radio communautaire constitue souvent la seule source d’information fiable. En parallèle, les réseaux sociaux sont devenus des outils de mobilisation et parfois de désinformation.
Les médias jouent également un rôle ambivalent : ils peuvent contribuer à la cohésion sociale, à la sensibilisation environnementale, et à la diffusion d’informations fiables. Mais ils peuvent également amplifier les divisions par des narratifs sensationnalistes ou biaisés.
Exemple positif : Des radios communautaires au Burkina Faso, comme Radio La Voix du Paysan, Radio Salaki ou Radio Bama ont servi de relais éducatifs pour les pratiques agricoles durables, tout en apaisant les tensions locales.
Exemple négatif : Lors de certaines flambées de violence au Niger, des rumeurs diffusées sur WhatsApp ont provoqué des réactions violentes à l’encontre de communautés perçues comme “proches” d’ennemis ou “favorisées” par l’État.
Les plateformes numériques sont devenues des terrains de bataille pour les récits politiques et environnementaux. Certaines puissances étrangères ou groupes extrémistes instrumentalisent les frustrations climatiques et économiques pour orienter l’opinion publique, souvent par le biais de campagnes de désinformation ciblées.
Toutefois, de nombreux projets médias ont montré comment une communication adaptée peut renforcer la résilience locale. En revanche, des campagnes numériques – parfois orchestrées par des puissances étrangères – exploitent les frustrations liées à la crise écologique et économique pour renforcer ou affaiblir d’autres influences géopolitiques.
Les interventions internationales souffrent souvent d’un manque de coordination: Un manque de coordination entre les acteurs humanitaires, militaires et environnementaux engendre des incohérences. L’action d’un programme de développement peut être anéantie par une opération sécuritaire mal contextualisée ou perçue comme intrusive.
Tandis qu’un programme d’aide soutient l’agriculture résiliente dans un village, une opération militaire est conduite à quelques kilomètres, sans lien entre les deux. Cela peut fragiliser la confiance communautaire et l’efficacité des actions.
La prise en compte des dynamiques informelles – rumeurs, récits locaux, figures d’autorité traditionnelles – est essentielle pour éviter les malentendus et consolider la paix. Notre travail de terrain nous apprend que la stratégie doit inclure non seulement les gouvernements mais aussi les formes hybrides de gouvernance.
Vers une stratégie de sécurité climatique fondée sur les médias
Une réponse intégrée exige une stratégie tenant compte des médias, du climat et des dynamiques sociales. Cela passe par le renforcement des médias communautaires comme systèmes d’alerte précoce (ex. radios rurales en temps de crise); le croisement des données climatiques et les signaux de tensions sociales pour détecter les foyers de crise émergents; l'analyse des récits concurrents diffusés par les acteurs étatiques et non-étatiques (groupes armés, puissances étrangères); et, l'observation de la gouvernance alternative, notamment là où l’État est affaibli ou absent.
Les médias de proximité (radios rurales, groupes WhatsApp locaux, etc.) peuvent devenir des instruments d’alerte rapide en cas de stress climatique, de conflit imminent ou de migrations forcées. Pour cela, il faut investir dans leur professionnalisation, leur autonomie financière et leur protection face à la censure ou aux menaces.
Le croisement des données climatiques (température, précipitations, sécheresse) avec les données sociales (tensions communautaires, déplacements de population, prix des denrées) permet d’anticiper des crises. Les observatoires locaux peuvent être formés pour faire remonter ces signaux faibles, afin d’orienter les réponses gouvernementales.
Il s’agit d’analyser comment l’information est produite, par qui, pour quels publics, et avec quels effets. Cette cartographie narrative permet de comprendre les alliances, les stratégies de pouvoir, mais aussi d’identifier les récits porteurs de paix et de résilience.
L’Afrique de l’Ouest est un épicentre des vulnérabilités systémiques liées au climat. Mais cette vulnérabilité peut être transformée en force si l’on prend à coeur :
Le rôle stratégique des médias comme outils de résilience ;
La valeur des savoirs et récits endogènes ;
L’implication des communautés locales dans les dispositifs de gouvernance.
Une approche intersectionnelle entre environnement, médias et politique locale est désormais indispensable.
Le changement climatique n’est pas uniquement un enjeu écologique : c’est un multiplicateur de risques politiques, sociaux et sécuritaires. Mais c’est aussi une opportunité de renouveler les modes de gouvernance, de valoriser les récits endogènes et de soutenir les acteurs locaux du changement. Les médias, bien utilisés, peuvent jouer un rôle décisif dans cette transformation.
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